La refonte de la pédagogie en Algérie – Défis et enjeux d'une société en mutation, Alger : UNESCO-ONPS, pp. 107-124 / ROEGIERS, X. / 2005
Depuis plusieurs années déjà, le système éducatif algérien est engagé dans des changements profonds pour accroître son efficacité et répondre aux défis de la société d'aujourd'hui. Deux grands chantiers ont essentiellement été lancés : celui des programmes scolaires, récemment reformulés sous la forme de compétences, et celui des manuels scolaires, véritable clé de voûte de la généralisation de toute réforme dans un pays tellement vaste et diversifié.
Depuis deux ans, et en particulier à l'occasion du développement du projet PARE, appuyé par le BIE / UNESCO, une évidence a surgi : peut-on raisonnablement modifier les manuels scolaires, peut-on s'engager dans une réforme des programmes si, dans le même temps — voire même préalablement — on ne mène pas une réflexion sur l'évaluation des acquis des élèves ? Si les programmes et les manuels scolaires mettent en avant le développement des compétences des élèves, il paraît logique et raisonnable d'évaluer ces derniers sur les compétences acquises. Mais peut-on évaluer leurs compétences ? Comment évaluer leurs compétences ?
Ces questions étaient encore impertinentes il y a 5 ou 10 ans, tant tout le monde était persuadé qu'il ne pourrait jamais exister qu'une seule façon d'évaluer les élèves : leur poser une série de questions sur chaque matière. Le défi de trouver et de mettre en oeuvre une manière plus adaptée d'évaluer les élèves est aujourd'hui en Algérie, à l'instar de plusieurs autres pays dans le monde, d'une actualité qui peut en surprendre plus d'un.
Pour introduire la problématique de l'évaluation des compétences des élèves, partons d'une petite étude de cas. Lors une épreuve d'évaluation, on soumet à quatre élèves un dialogue à compléter. Les répliques d'un des deux interlocuteurs sont données, celles de l'autre sont à compléter par les élèves, à un endroit marqué par des pointillés. Quatre élèves ont effectué les productions suivantes :
Lorsqu'on interroge les enseignants sur la note qu'ils attribueraient à ces quatre élèves, c'est pour le quatrième élève que les notes varient le plus — entre 0 et 10 sur dix, ce qui est témoin d'un malaise —, mais c'est également pour celui-là que les notes sont globalement les plus faibles. Or, quand on leur demande auquel de ces quatre élèves ils confieraient des tâches qui requièrent la maîtrise de la langue, c'est le quatrième que tous désignent. C'est donc au plus compétent en langue qu'ils attribuent le moins de points. Ceci illustre le fossé qui existe entre l'école et la société, avec ses attentes : lorsqu'ils évaluent, les enseignants accordent plus d'importance à des aspects scolaires de la production (l'élève a-t-il exécuté ce qui lui est demandé), qu'à la compétence de l'élève. Ce n'est pas naturel pour eux d'évaluer les compétences des élèves.
Les conséquences de ces pratiques sont désastreuses. On pourrait les examiner à plusieurs niveaux, comme le niveau de l'élève, et le sentiment d'injustice vécu par lui. Mais attardons-nous ici sur deux conséquences importantes, à l'échelle d'un système éducatif.
Il existe une première conséquence, à court terme : celle de provoquer des réussites et des échecs abusifs. Autrement dit, des élèves scolaires, mais non compétents sont déclarés aptes à passer dans le niveau supérieur : ce sont des réussites abusives. En revanche, des élèves compétents, mais moins scolaires, sont déclarés inaptes à passer dans le niveau supérieur. Ils redoublent, alors qu'ils possèdent les acquis nécessaires pour continuer leur scolarité ; ce sont des échecs abusifs. Réussites et échecs abusifs constituent un véritable fléau pour un système éducatif. Il s'agit là d'un cocktail efficace pour faire exploser l'hétérogénéité des classes, hétérogénéité qui est un des facteurs majeurs qui entravent le travail de l'enseignant. C'est ainsi que l'école génère elle-même les maux dont elle se plaint par ailleurs.
Une autre conséquence, à long terme, est ce qu'on appelle l'analphabétisme fonctionnel : des élèves, qui ont suivi une scolarité de 6 années, 7 années, 8 années, voire davantage, quittent l'école et, quand ils se retrouvent dans la vie de tous les jours, sont incapables de réagir correctement à une situation quotidienne, c'est-à-dire qu'ils sont incapables d'utiliser ce qu'ils ont appris à l'école.
L'approche par les compétences vise à remédier à ce déficit, lourd de conséquences pour la société toute entière. Comment ? En soumettant de manière régulière à l'élève des situations complexes, dans lesquelles il a l'occasion de mobiliser les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être qu'il a appris à l'école. En procédant de la sorte, on estime que, tout comme c'est en forgeant qu'on devient forgeron, c'est en résolvant des situations complexes que l'on devient compétent.
Cela fonctionne assez bien sur le plan des apprentissages, à condition que le dispositif pédagogique de l'enseignant permette aux élèves de travailler en tout petits groupes à certains moment, mais seuls aussi à d'autres moments, parce que c'est seuls qu'ils devront devenir compétents.
Sur le plan de l'évaluation se pose une question importante : peut-on évaluer la compétence de l'élève ? Il était facile de leur soumettre une liste de questions sur des savoirs (restitution) et sur des savoir-faire (applications), mais évaluer leur compétence réelle, est-ce possible ?
La réponse est oui, à certaines conditions.
Ce sont les principes sur lesquels reposent la pédagogie de l'intégration, ou encore l'approche par les compétences de base (Roegiers 2000, 2e édition 2001).
Qui dit situation complexe dit production de la part de l'élève : la solution à un problème, une création originale de sa part, des propositions qu'il émet etc. Cette production complexe doit être appréciée à travers un ensemble de points de vue : c'est là le rôle des critères, souvent appelés critères de correction.
Un critère de correction est une qualité que doit respecter la production d'un élève : une production précise, une production cohérente, une production originale, etc.
Un critère est donc un point de vue selon lequel on se place pour apprécier une production. C'est un peu comme une paire de lunettes que l'on mettrait pour examiner une production : si on veut évaluer une production à travers plusieurs critères, on change chaque fois de paire de lunettes. Les différentes paires de lunettes sont choisies de manière à ce que le regard soit le plus complet possible. Si un élève exécute une performance sportive collective, on peut par exemple examiner cette performance sportive selon plusieurs points de vue : l'esprit d'équipe, la dextérité, l'élégance, le respect des règles, etc. Ce sont autant de paires de lunettes que l'on met.
Pour comprendre le fonctionnement d'une évaluation des compétences, il est nécessaire de distinguer ce qu'est un critère minimal et un critère de perfectionnement.
Un critère minimal est un critère qui fait partie intégrante de la compétence, un critère requis pour déclarer l'élève compétent. Un critère de perfectionnement est un critère qui ne conditionne pas la maîtrise de la compétence. Par exemple, pour dire de façon minimale qu'une personne est compétente pour nager en piscine, il existe deux critères minimaux : un critère de mobilité (il faut se déplacer) et un critère d'équilibre (il ne faut pas couler). D'autres critères peuvent entrer en ligne de compte, mais ils sont moins importants : le critère de rapidité, d'élégance, de variété (des nages), etc. Ce sont des critères de perfectionnement.
Une tendance fréquente est celle de l'inflation du nombre de critères : comme on estime que tout est important, on gonfle la liste des critères. Or, il faut aussi éviter d'avoir trop de critères minimaux, parce qu'on risque d'être trop sévère. Pour déterminer si un critère est minimal, il faut se poser la question : " un élève qui échoue à ce critère, peut-il néanmoins être déclaré compétent ? ". Par exemple, un élève qui effectue une production excellente en histoire, mais qui fait plusieurs fautes d'orthographe, mérite certes de ne pas avoir le maximum, mais mérite-t-il d'échouer dans la compétence ?
Nous verrons plus loin qu'il existe d'autres raisons de limiter le nombre de critères de correction.
La maîtrise d'un critère, entre la photo souvenir et le mythe de l'élève parfait
La question de la maîtrise d'un critère est un point important, et délicat. Doit-on exiger qu'un critère soit vérifié une seule fois pour que sa maîtrise par l'élève soit actée ? On tomberait alors dans le travers de guetter la moindre occasion de voir l'élève maîtriser le critère, que l'on immortaliserait comme une photo souvenir, sans oser vérifier si la performance est due à un état de grâce passager, au hasard des circonstances, à un effet d'osmose, ou au contraire si elle s'installe dans le temps.
A l'inverse, pour qu'un critère soit déclaré atteint, l'élève doit-il en manifester la maîtrise à chaque occasion ? On tomberait alors dans le mythe de l'élève parfait, qui veut qu'un élève soit déclaré compétent lorsqu'il ne commet plus aucune erreur. Or, compétence n'est pas perfection. « Même le plus compétent commet des erreurs », dit-on. Quel est le grand joueur de football qui n'a jamais raté un penalty ? Quel est le grand cuisinier qui n'a jamais raté un plat ? L'école aurait-elle à ce point perdu la tête qu'elle ne permettrait pas à un élève en apprentissage ce qui est permis au plus grand spécialiste ?
Apprécier si un élève maîtrise un critère est une chose délicate. Il est des cas où point n'est besoin de formaliser : la connaissance qu'a l'enseignant de ses élèves suffit, grâce à l'expérience et/ou l'expertise acquise. Mais dans la plupart des cas, il est utile de formaliser les choses. La règle des 2/3, proposée par De Ketele (1996), et validée empiriquement, donne des réponses intéressantes à cette question.
La règle des 2/3 dit ceci : pour déclarer un élève compétent, chaque critère minimal doit être respecté. Et pour qu'un critère minimal soit déclaré comme respecté, il faut que, sur trois occasions indépendantes de vérifier le critère, l'élève atteste sa maîtrise dans deux occasions sur trois. Pour l'élaborateur d'épreuves d'évaluation, cela signifie qu'il doit fournir à l'élève trois occasions de vérifier chaque critère : trois situations-problèmes à résoudre en mathématiques (ou une situation unique, avec trois consignes indépendantes), trois phrases à produire en langue pour un élève débutant, etc.
Dans une optique de maîtrise des compétences, il est normal que le poids accordé aux critères de perfectionnement soit limité. En effet, un enjeu majeur est d'éviter les échecs abusifs. Pour cela, il faut garantir que les échecs soient dus à la non-maîtrise des critères minimaux — ceux qui traduisent véritablement la compétence —, et non à celle des critères de perfectionnement. De même, si on veut éviter les réussites abusives, il s'agit d'éviter qu'un élève puisse réussir grâce à sa maîtrise des critères de perfectionnement.
La « règle des 3/4 », introduite par De Ketele (1996) propose à ce sujet un garde-fou intéressant. Selon cette règle, les critères de perfectionnement ne devraient pas avoir un poids supérieur à un quart du total des points.
Une des qualités principales des critères est d'être indépendants les uns des autres. Par exemple, la pertinence de la production permettra de déterminer si l'élève a répondu à ce qui était demandé, tandis que la cohérence de la production déterminera si ce qu'il écrit se tient, même s'il ne répond pas à ce qui est demandé.
Cette indépendance est importante pour éviter de pénaliser deux fois un élève qui commet une erreur. Par exemple, un élève qui s'est trompé dans un calcul ne devrait être pénalisé que pour le critère " utilisation correcte des outils mathématiques ", et non pour les autres critères (interprétation correcte du problème, précision,...).
Pour cette raison, il est bon d'éviter, dans les disciplines scientifiques, le critère « Réponse correcte », car c'est un critère qui englobe tous les autres critères : un élève qui fait une seule erreur est de toutes les façons sanctionné à ce critère, de même qu'il le sera probablement dans un des autres critères. Ce critère est un critère « absorbant ». La seule utilisation que l'on pourrait en faire serait d'examiner tout d'abord si la réponse de l'élève est correcte. Dans l'affirmative, on attribue la note maximale à l'élève , dans la négative, on regarde l'ensemble des critères, ce qui fait gagner à l'enseignant du temps dans la correction.
Le recours aux critères présente trois avantages majeurs dans l'évaluation (Roegiers, 2004).
Tout d'abord, il permet de rendre les notes plus justes que dans l'approche traditionnelle, dans la mesure où le recours aux critères limite les échecs abusifs, et les réussites abusives. Autrement dit, il permet de faire réussir une plus grande proportion d'élèves qui ont les acquis pour réussir, et de faire échouer une plus grande proportion de ceux qui doivent échouer, parce qu'ils ne possèdent pas les acquis qui leur permettent de passer d'une classe à l'autre.
Ensuite, le recours aux critères permet en général de valoriser les éléments positifs dans les productions des élèves. Le sens étymologique du terme « évaluation » n'est-il pas « ex-valuere », ce qui signifie « faire ressortir la valeur de » ?
Enfin, le recours aux critères permet d'identifier beaucoup mieux les élèves à risque, c'est-à-dire les élèves à qui il faut peu de chose pour basculer au-dessus ou en dessous du seuil de réussite, comme en témoigne une recherche récente menée en Tunisie , ou encore les recherches menées par Jadoulle & Bouhon (2001). En effet, il permet de diagnostiquer de façon plus efficace les difficultés rencontrées par les élèves, et l'identification d'un critère déficient donne des pistes pour la remédiation. Dans l'approche traditionnelle, de par le jeu de l'échantillonnage de savoirs et d'objectifs spécifiques qui sont évalués, le fait qu'un élève échouait à quelques savoirs ou quelques objectifs spécifiques ne donnait pas la garantie que, si on remédie aux faiblesses, l'élève possède les acquis nécessaires pour passer d'un niveau à un autre.
Si le recours aux critères n'est plus contesté dans le monde des sciences de l'éducation, son utilisation est parfois galvaudée. En particulier, on aurait spontanément tendance à multiplier le nombre de critères pour apprécier de façon la plus fine possible une production donnée. La pratique montre le contraire : un petit nombre de critères permet souvent d'arriver à une note plus juste.
Trois raisons essentielles justifient le fait de limiter le nombre de critères (Roegiers, 2004).
La première raison est liée à l'effort de correction. Plus un système prône la multiplication du nombre de critères, et plus il court le risque que ces critères ne soient pas utilisés du tout par les enseignants, pour une raison de temps de correction.
La deuxième raison tient au potentiel des enseignants et des élèves à prendre en compte de façon spontanée les critères dans les apprentissages. Tout comme ils peuvent assez facilement avoir en tête deux ou trois compétences à développer chez les élèves, les enseignants peuvent assez facilement s'approprier un petit nombre de critères, et les mobiliser de façon spontanée, non seulement au moment de la correction, mais au cours des apprentissages. Si leur nombre augmente, ces critères perdent de facto leur statut de point de repère. Il en va de même des élèves qui peuvent être attentifs à deux ou trois critères lorsqu'ils effectuent une production, mais qui, lorsqu'ils ont un grand nombre de critères à prendre en compte, peuvent plus difficilement cibler leur effort.
La troisième raison, plus technique, est liée au risque de dépendance. Plus le nombre de critères est élevé, plus on a des chances de trouver des critères qui ne sont pas indépendants l'un de l'autre : en augmentant le nombre de critères, on multiplie les chances qu'une erreur de l'élève soit sanctionnée deux, voire trois fois.
Les pédagogues ont déjà répondu depuis longtemps à la question de savoir s'il faut communiquer les critères aux élèves. La réponse est positive, bien entendu, sans aucune restriction.
Cette pratique a en effet plusieurs conséquences positives.
Tout d'abord, les résultats de recherche (Bonniol, 1985 ; Jadoulle & Bouhon, 2001) ont montré qu'un élève qui connaît les critères d'évaluation effectue des meilleures performances à l'examen, parce qu'il sait comment orienter son effort dans la préparation de l'examen.
Ensuite, il s'agit là d'un levier gigantesque pour l'autonomie de l'élève, dans la mesure où cette liste des critères constitue une base pour des grilles d'autoévaluation, qu'il peut d'ailleurs construire lui-même. Ces outils sont des supports privilégiés pour l'autoévaluation, qui elle-même déclenche des démarches métacognitives chez l'élève. Les travaux sur l'autoévaluation et la métacognition (Grangeat, 1998 ; Noël, 2001 ; Allal, 2001) mettent en évidence l'apport de ces types de pratiques dans la régulation des apprentissages.
La réponse à cette question est malheureusement négative : il n'existe pas une liste de critères, si bien faite soit-elle, qui corresponde à l'ensemble des niveaux d'enseignement et des disciplines, tant les besoins de ces niveaux sont différents, mais surtout tant les exigences des disciplines sont spécifiques. Entre les disciplines outils et les autres disciplines, entre les disciplines littéraires et les disciplines scientifiques, entre les disciplines artistiques et les disciplines cognitives, il y a des exigences tellement variées qu'il nous semble vain de vouloir tout embrasser.
Il est vrai que certains critères minimaux reviennent souvent. Ce sont les critères suivants :
Toutefois, leur traduction dans chaque discipline, voire même dans chaque compétence de base, est spécifique.
Dans une optique d'évaluation des compétences de l'élève, on appelle « épreuve d'évaluation » une ou plusieurs situations d'intégration — des situations complexes — à travers lesquelles l'élève démontre sa compétence.
Ces situations répondent à plusieurs conditions, les trois principales étant les suivantes (Roegiers, 2003) :
On peut résumer par les étapes suivantes la démarche de construction d'une situation à des fins d'évaluation :
Voici quelques questions qui sont habituellement posées lorsqu'il s'agit de construire une épreuve d'évaluation.
Nous avons vu que, l'important, c'est que chaque critère puisse être évalué à plusieurs reprises, de façon indépendante. Trois occasions apparaissent comme un point de repère intéressant. Dans certains cas, une situation unique suffit pour que chaque critère puisse être évalué à trois reprises différentes. Dans d'autres cas, il faudra recourir à deux, voire à trois situations pour permettre d'évaluer chaque critère à trois reprises au moins.
Une consigne unique garantit que l'on a le niveau de complexité requis. On ne réduit pas cette complexité. L'inconvénient majeur est qu'une consigne unique peut provoquer du « tout ou rien », et handicaper les élèves qui pourraient exécuter une partie de la tâche seulement.
Les avantages d'un ensemble de questions est de répondre à cet inconvénient, en multipliant les chances pour l'élève de pouvoir effectuer des productions indépendantes, c'est-à-dire qui ne soient pas liées à des réponses ou à des productions antérieures. Il faut toutefois que chaque question garde toujours un niveau de complexité suffisant : décomposer une question complexe en plusieurs questions revient à évaluer une suite de savoir-faire. Un autre avantage est de pouvoir orienter ces questions d'une manière telle que chaque question soit davantage orientée vers un critère particulier, ce qui facilite la correction.
Dans les petites classes, introduire une nouvelle consigne est une chose compliquée, et on peut reprendre la même consigne. L'important est que le contexte de la situation, ainsi que la production attendue, soient entièrement nouveaux.
La réponse générale est non. La raison est que, si l'on cherche à élaborer une situation nouvelle, le fait de travailler à partir d'un support connu va inciter l'élève à de la restitution, ou induire chez lui qu'on pourrait accepter qu'il restitue des savoirs.
Définir des critères ne suffit pas pour fournir la garantie que deux copies d'élèves soient corrigées de la même façon. Prenons par exemple un critère comme « correction syntaxique de la production », ce critère étant noté sur 5 points. Comment apprécier ce critère pour un élève a produit 10 phrases, et dont 4 phrases sont mal construites ? Si on ne précise pas le critère, un enseignant peut donner à l'élève 1 point sur 5, argumentant qu'il retire un point par phrase mal construire. Un autre peut par contre lui donner 3 points sur 5, argumentant que trois cinquièmes des phrases sont bien construites.
C'est le rôle des indicateurs.
Un indicateur est un signe concret, un indice précis que l'on recueille, pour se prononcer sur la maîtrise d'un critère par l'élèves. Les indicateurs sont de l'ordre de l'observable en situation, et ont une valence positive ou négative. Ils précisent un critère, ils permettent d'opérationnaliser un critère.
On peut distinguer deux types d'indicateurs.
Cette utilisation de l'indicateur est plus simple, mais elle est moins descriptive, et dès lors moins formative, c'est-à-dire qu'elle aide moins à la remédiation.
Une grille de correction est un outil d'appréciation d'un critère à travers des indicateurs précis. En termes stratégiques, la grille de correction répond à un souci de standardisation de la correction. En termes pédagogiques, elle constitue un outil d'aide à la correction des productions des élèves, utilisé essentiellement dans deux buts :
Un critère peut être opérationnalisé par plusieurs indicateurs qui se complètent, et qui donnent un tableau assez complet de la maîtrise du critère. Dans la pratique, on limite souvent le nombre d'indicateurs pour ne pas alourdir le travail de l'enseignant.
Dans ce dernier cas, il faut être particulièrement rigoureux dans la formulation de l'indicateur. Il faut notamment que cette formulation ne couvre pas deux critères différents. L'enjeu est le même que celui de l'indépendance des critères : comment garantir que l'élève ne soit pénalisé deux fois pour une erreur qu'il a commise ?
Il s'agit ensuite de les exprimer de façon concrète, précise et simple. L'enjeu est que le correcteur puisse associer de façon rapide et fiable la réponse de l'élève à un nombre de points le plus juste possible.
Le recours aux situations complexes est sans doute la seule voie qui peut assurer que l'école évalue des compétences de l'élève, et non des savoirs ou des savoir-faire isolés. Ce recours à des situations complexes dans l'évaluation garantit que les élèves qui passent d'un niveau à l'autre possèdent des bases solides pour poursuivre leur scolarité. A plus long terme, il garantit que l'école arrête de produire des analphabètes fonctionnels. L'enjeu du changement de système d'évaluation n'est donc pas seulement un enjeu technique de changement de dispositif, mais aussi et surtout un enjeu social, auquel l'Algérie est tellement attachée dans ses valeurs les plus profondes.
Toutefois, il y a un prix à payer : un changement de pratiques d'enseignement, et un changement de pratiques d'évaluation, qui impliquent que l'enseignant accepte de porter sur une production de l'élève regard pluriel, à travers des critères de correction. Cela implique également que, en tout cas pour l'évaluateur débutant, il construise des outils de correction précis, à savoir une grille de correction constituée d'indicateurs observables.
Pour le système algérien et pour tout système éducatif qui veut évoluer dans ce sens, le défi est de trouver un équilibre entre un dispositif d'évaluation suffisamment significatif et pertinent, mais aussi suffisamment simple pour ne pas décourager l'enseignant. Comme dans toute innovation, pour qu'elle réussisse, il faut être à la fois exigeant et modeste. Exigeant dans les visées à long terme, mais modeste dans les pas progressifs que l'on demande aux enseignants de franchir, tenant compte de leur capacité d'absorption de l'innovation. Une réforme qui exige trop des enseignants en une fois est une réforme qui conduit souvent au non-changement. Toute génération ultérieure de programmes et de manuels scolaires algériens en termes de compétences devra donc agir sur les deux fronts : à la fois affirmer clairement ces ambitions en termes de visée, mais aussi proposer des changements réalistes et progressifs, pour garantir que ces derniers soient effectifs dans les écoles.
Les responsables du système éducatif algérien ont également bien compris les trois implications principales à leur niveau : (1) outiller les enseignants par des documents qui proposent des situations complexes à titre d'exemples de ce qui est attendu des élèves à chaque niveau, dans les manuels scolaires ou dans des banques de situations (2) former les enseignants à construire des situations d'évaluation, à corriger des copies d'élèves de manière critériée, et à exploiter les résultats des élèves à des fins formatives (3) assurer un accompagnement de ces enseignants dans leurs classes.
Responsables, inspecteurs, chefs d'établissements, chercheurs, enseignants, chaque catégorie d'acteurs a donc un rôle clé à jouer dans cette réforme ambitieuse mais nécessaire pour tout système éducatif qui veut rester à la fois efficace et démocratique.
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